Compte-rendu de l’événement par le Collège Montmorency

Présentation du thème

Pour cette première édition, nous invitons des propositions de communications sur le thème : Sapere aude ! Croyance, vérité, raison. Ce sera ainsi l’occasion de s’enquérir de l’histoire, du sens et de l’actualité de cette célèbre devise des Lumières. La problématique d’une pensée éclairée se veut ample et fédératrice, de sorte que toutes les propositions abordant de manière philosophique une ou plusieurs des notions qui lui sont associées seront considérées, sans restriction de tradition, d’approche ou de champ.

Les Lumières sont entendues à la fois 1/ comme une période historique déterminée (le 18e siècle européen) et 2/ comme un idéal consubstantiel à l’effort philosophique en tant que tel, soit celui d’une pensée libre et bien fondée, qui déjoue les écueils de l’intuition, des dogmes, des préjugés, de la manipulation et de ce que nous appelons aujourd’hui les « biais cognitifs ». De Horace à Bertrand Russell en passant par Kant, Montaigne et Voltaire, plusieurs penseurs ont encouragé depuis l’Antiquité l’effort d’une pensée critique éclairée par la raison. En effet, n’est-ce pas ce que cherchait à faire Socrate en exhortant la population à remettre en question préjugés et croyances ? Ou au contraire, ce dernier a-t-il participé à la décadence de la pensée, comme le croyait Nietzsche, en figeant les « forces réactives » dans une idéologie dominante ?

Les débats autour de l’usage et de la valeur de la raison sont plus que jamais d’actualité. Les circonstances sociales et politiques actuelles présentent des obstacles inédits à la pensée et l’action rationnelles. Comme le suggère avec force Joseph Heath, une myriade d’objets institutionnels (p. ex. les « chambres à écho » virtuelles) exploitent les faiblesses de la psyché humaine à des fins mercantiles. Plusieurs dispositifs sociaux, politiques, médiatiques et économiques exacerbent les biais cognitifs qui nous indisposent à la pensée rationnelle. En procèdent pour partie les polarisations idéologiques, la désinformation, le « scepticisme » envers la science climatique et le complotisme à propos d’enjeux aussi cruciaux que la crise sanitaire. La progression des moyens de communication renforce chaque jour la conscience d’appartenir à une seule communauté de destin. Pourtant, cette unité de conscience paraît se déliter au même rythme. Et cela touche jusqu’aux savoirs, méthodes de recherche et normes morales minimales qui devraient pourvoir un cadre commun. Un tel déclin de rationalité risque-t-il de nous plonger dans la barbarie en créant les conditions de la « banalité du mal », comme le défendait Hannah Arendt ? Ces difficultés sont d’autant plus préoccupantes qu’elles se manifestent dans un contexte de défis civilisationnels – écologiques et géopolitiques, notamment – plus complexes et plus périlleux que jamais.

Cette défense alarmiste de l’idéal des Lumières se redouble cependant d’une autre tendance saillante en philosophie. Non seulement la raison humaine est-elle mise en demeure depuis Kant de justifier ses prétentions à l’universalité et l’objectivité, jusqu’aux extrêmes de l’« anarchisme épistémologique » (Feyerabend, 1975), du « postmodernisme » (Lyotard, 1979) et de certains courants herméneutiques et pragmatiques contemporains (Rorty, 1979 ; Vattimo, 1985), elle est également accusée d’être elle-même la cause immanente de la crise qui l’affecte, sachant au moins depuis Hume, Kant et Wittgenstein que la raison, lorsque poussée hors de ses gonds (mais lesquels ?), bascule dans la déraison. En ce sens, la rationalité que les Lumières européennes élevèrent au rang de valeur suprême pourrait n’être au fond qu’un obstacle à l’émancipation humaine ou, alternativement, le masque de l’intérêt du plus fort. En regretter le déclin serait donc au mieux une naïveté, au pire l’expression d’une conscience aliénée, nostalgique d’un humanisme « phallogocentré » (Derrida, 1972). Cette seconde tendance conteste la légitimité de la raison dans sa propension universelle, dans sa capacité à formuler des vérités absolues, interdisant dès lors de déplorer la faillite du programme existentiel des Lumières modernes. Celle-ci pourrait bien n’être que l’effet de leur propre renversement dialectique (Adorno et Horkheimer, 1947) ou encore leur phase terminale, culminant dans le nihilisme de la technique et de la « pensée calculante » (Heidegger, 1955). Ces deux tendances antagonistes dessinent une situation inconfortable où le droit même de la philosophie à « former l’esprit critique » devient l’objet paradoxal d’un désaccord philosophique.

Cette tension fait ressortir la variété des enjeux susceptibles d’être soulevés lors de la première édition du SIRPhi. Les questions pouvant être abordées incluent, mais ne se limitent pas à :

  • Comment définir la raison ? Qu’est-ce que la connaissance, la croyance justifiée, la vérité ? Comment connaître et être rationnel ?
  • Comment interpréter l’idéal de la raison dans ses formulations et manifestations marquantes ? Comment l’interpréter dans le contexte d’œuvres, époques, écoles, traditions et institutions pertinentes ?
  • Quelle valeur ou importance accorder à la pensée rationnelle ? Est-elle importante en elle-même ? Pour des raisons pratiques, morales, politiques, sociales ?
  • À quoi la raison peut-elle prétendre ? La connaissance est-elle possible ? Est-il parfois légitime de prétendre à la vérité ? Quels sont désormais les critères de vérité ? Quel est le rôle de la croyance chez les êtres doués de raison ?
  • Quels sont les obstacles à la rationalité ? Quels phénomènes nuisent à l’exercice d’une pensée critique ? Quels sont les éléments favorisant le déploiement de la raison ?
  • Quelles sont les critiques de l’idéal moderne des Lumières ? Cet idéal fait-il défaut sur le plan de la justice sociale, de l’épanouissement humain, de ce qui est psychologiquement possible pour nous, de ce qui est atteignable pour les sociétés humaines ?

Programme

 

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